Agriculture: nom féminin (2)
Question égalité en agriculture, il y a du chemin à faire….comme je vous le disais, 27% des chefs d’exploitations agricoles sont maintenant des femmes….mais ce chiffre ne rentre pas dans certaines têtes…et bien des anecdotes au quotidien le montre.
Cette publicité pour le service de remplacement agricole l’illustre très bien :
Apparemment, le mot "éleveur" ne s’accorde pas au féminin dans le dictionnaire agricole…
Combien de fois des agricultrices, m’ont fait part de cette phrase qu’on leur avait jeté à la figure, démontrant bien qu’elles n’étaient pas considérées comme chefs d’exploitations même après des années d’installation: « Il est ou le patron ? …C’est moi la patronne ici ! »
Ou encore : Un jeune agriculteur chez qui j’étais en stage, installé avec sa femme depuis le début me raconte: « À chaque fois qu’un commercial me regarde seulement dans les yeux (et non ma femme) lorsqu’il explique un aspect technique de son produit… je le mets au parfum : on est tous les deux chefs d’exploitation ici ! Et s’il n’a pas vite compris en considérant ma femme autrement, il n’est pas près de signer avec nous !
Cette même femme m’avouant qu’un petit détail l’insupportait depuis des années: « tous nos courriers sont adressés à Monsieur X. Pourtant, on est associé à 50/50, on vient toujours à deux aux réunions ou aux rendez-vous et on prend nos décisions à 2» !
Moi-même, ayant un prénom mixte et étant en cours d’installation, je reçois des courriers administratifs avec Monsieur devant mon prénom et nom. Alors que les personnes m’écrivant ont eu entre les mains ma carte d’identité ! Un comble !
Très récemment nous avons signé notre bail rural (pour la location de nos terres). Depuis des années, une mention du bail expliquait au locataire qu’il devait « cultiver les terres en bon père de famille ». Le notaire a rigolé en nous expliquant que cette mention avait été récemment supprimée pour devenir « cultiver les terres en une personne raisonnable ». Le notaire trouvait apparemment cela tout à fait ridicule….Je lui ai rétorqué que personnellement j’allais vraiment avoir du mal à être un bon père de famille !
Pendant longtemps, les femmes n’apparaissaient pas sur les papiers administratifs de la ferme. Ma grand-mère s’est longtemps battue pour signer le bail avec son mari….on lui a toujours refusé. Ceci explique l’évolution récente de cette mention !
Les choses avancent doucement. …Ce sont quelques petits détails de formes. On les excuse en se disant parfois que c’est un manque de tact. Mais le fond est parfois plus lassant…
Combien de fois est-on jugée en tant que femme sur notre capacité toute basique à faire un demi-tour avec un tracteur et une benne en un tour de bras à la coopérative. Mais franchement, certes c’est gênant au quotidien si on n’y arrive pas en 2 minutes. Mais ce n’est pas là l’essentiel. Savoir faire des choix techniques et financiers pour mener son entreprise me semble plus important...
Il faut montrer deux fois plus de combativité pour être considérée à équité avec les agriculteurs homme. Ce doit être surement le cas dans bien d’autres métiers typiquement masculins.
Quand je monte dans le tracteur pour labourer ou que j’ai réussie à mettre bas une chèvre en difficulté et qu’enfin je vois ce petit chevreau sortir en vie … je suis fière ! À chaque mini-victoire quotidienne, c’est ma revanche ! Là, je commence à être à égalité avec un homme, pas besoin de faire les gros bras… tiens-toi bien mon bonhomme, je sais faire pareil que toi maintenant! Et attend voir sur un fichier Excel, ta comptabilité va vite s’éclaircir ;) !
Il faut tout de même l’avouer, la force physique reste, de mon point de vue, encore une limite dans ce métier. Malgré la mécanisation et la technologie, il faut une certaine forme pour accomplir des taches parfois toutes simples. J’ai mis une fois 45 minutes à dételer un tracteur. Dételer un tracteur signifie, détacher un matériel de l’attelage du tracteur (comme si vous enleviez une remorque d’une voiture, sauf que la charrue pèse 15 tonnes et les manipulations à faire sont nombreuses et délicates). Ça parait simple quand on le voit mais les attaches sont tellement dures à enlever…. j’en ai royalement C**** pour enlever tout l’appareil. De plus, si la manipulation est mal faite, il y a un réel risque de sécurité pour sa personne. Mais j’aurai eu trop mal d’appeler un homme pour m’aider ! Il faut alors ruser, trouver une alternative pour porter une charge, penser à l’ergonomie d’un aménagement pour éviter telle ou telle contrainte, ne pas se faire mal au dos pour autant ….
Il faut savoir que les femmes en agriculture sont plus diplômées que les hommes (44% des femmes de moins de 40 ans ont fait des études supérieures contre 32% pour les hommes…). Certains domaines restent spécialement féminins : l’élevage en générale et plus précisément, l’élevage ovin et caprin, le tourisme rurale, …etc.
Il y a de multiples raisons à cela, dont les principales déjà citées: la force physique comme expliqué, l’accessibilité technique, la sensibilité et la patience en élevage. Pour certains domaines, le recours à du matériel mécanique au quotidien limite les femmes et…il faut associer le temps de travail à sa vie de famille.
Conclusion, il y a du chemin à faire…mais par ici, sur 10Km à la ronde, on est déjà 3 jeunes femmes à s’installer comme agricultrices …. alors franchement, ça fait plaisir !!
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